On (re)connaît la chanson à l’Ehpad Marion-de-Givry

« Jojo » fredonne La Complainte de la butte et ses grands yeux bleu délavé traversent le mur de l’Ehpad pour se perdre dans le lointain des souvenirs. Sa tête dodeline doucement en accompagnant la voix ample et cristalline de Sidonie Dubosc : « La lune trop blême / Pose un diadème / Sur tes cheveux roux… »
A ses côtés, une demi-douzaine de résidents de l’Ehpad Marion-de-Givry participent à l’atelier 4 x 20 ans, proposé et animé par Sidonie Dubosc, le pianiste Morton Potash et la metteuse en scène Valérie Gaudissart. Un travail sur le lien puissant et inaltérable qui unit la mémoire aux chansons. Il suffit d’un titre, de quelques notes, de quelques mots pour qu’une émotion enfouie, un souvenir enfui remonte à la surface. Josiane (« Jojo ») confie après l’atelier, mi-amusée mi-inquiète du phénomène : « Depuis que j’ai fait mon AVC, j’ai plein de chansons qui arrivent dans ma tête. Un vrai remue-ménage. »
Comme ses voisins et voisines de l’heure – Suzanne, Mireille, Rodica, Denise, René, Anne-Marie –, l’octogénaire dunkerquoise venue rejoindre sa fille à Nevers s’est montrée volontaire pour cet atelier organisé par l’association D’Jazz Nevers dans le cadre de l’appel à projets « Culture et santé » : « J’aime bien chanter. Je suis venue une première fois, et ça m’a plu. » Même un fichu chat dans la gorge n’empêche pas le vénérable juke-box humain de rebondir sur chaque proposition du trio d’artistes.
« A l’origine de ce projet, il y a l’idée que la jeunesse n’est pas qu’une question d’âge. On reste les 20 ans que l’on a été », explique Valérie Gaudissart. « Les chansons du répertoire portent une richesse émotionnelle, elles sont associées par exemple aux premiers émois amoureux. » Jolie môme, Nationale 7, Le Tourbillon de la vie, What a wonderful world… Les classiques défilent, délicatement interprétés. Sur leur fauteuil médicalisé, souvent réduits au silence par l’âge ou la maladie, les résidents écoutent, impassibles ou soudain animés par un élan imprévisible. René s’emballe et veut se lever pour danser, oubliant que ses jambes ne le suivent plus ; il faut la vigilance d’un soignant pour l’empêcher de plonger tête la première. Puis nc'est au tour d'un air parfumé d’Est de faire décoller les mains de la Roumaine Rodica comme de frêles oiseaux autour de sa tête.
« La mémoire émotionnelle est toujours là », sourit Valérie Gaudissart, qui sait l’importance particulièrement grande d’un tel atelier après plus d’un an de chaos : « Tout ce qui est culturel a été arrêté. La crise a été pesante pour les résidents et pour les soignants, alors c’est d’autant plus fort de retrouver ce public. » Avec Morton Potash et Sidonie Dubosc, l’artiste invente une chanson pour chacun des résidents, en s’inspirant de sa vie, « de ce qu’il est aujourd’hui », la force magnétique d’un regard, un rire, la complicité avec un soignant. Les cinq jours d’atelier semés depuis avril seront couronnés, le 7 juillet, par une restitution à laquelle les familles seront invitées : « J’espère qu’elles pourront venir pour voir un regard artistique porté sur leurs proches. »
Sébastien Chabard